Biodiversité, Zones humides

Quand un syndicat forestier s’engage dans la préservation d'importantes zones humides

A Counozouls, un chantier remarquable de protection des zones humides est actuellement en cours afin de minimiser l'impact de l'exploitation forestière sur ce milieu naturel fragile. Il signe l'aboutissement d'une réflexion et d'un travail menés par le syndicat forestier, en concertation avec de nombreux professionnels concernés, parmi lesquels le Conservatoire des espaces naturels Occitanie.

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Counozouls, au coeur un milieu naturel particulièrement privilégié... mais fragile

Toute proche des Pyrénées-Orientales, à l’est du pic du Madres et au sud du département de l’Aude, se trouve la commune de Counozouls. Elle se caractérise notamment par la présence d’une propriété de 2400 hectares appartenant au syndicat forestier de Counozouls (SFDC). Cette propriété est principalement forestière mais comprend également deux estives. Elle est traversée par l’Aiguette, affluent du fleuve Aude.

De ses 670 m d’altitude à  ses 2420 m, le site regorge d’une grande biodiversité tant faunistique que floristique, il est d’ailleurs concerné par deux sites Natura 2000, plateau de Sault et Haute Vallée de l'Aude et Bassin de l'Aiguette. 

Depuis longtemps, le syndicat  gère sa forêt avec la volonté de respecter au maximum les milieux fragiles qui la composent. Il a par exemple exclu les coupes rases et les plantations d'essences exotiques en s’appuyant sur les conseils d'experts forestiers en accord avec ce genre de pratiques.

Par ailleurs, ces dernières années, les membres du bureau du syndicat ont été amenés à se préoccuper des très nombreuses zones humides présentes sur son territoire, en partenariat avec des associations naturalistes.

Un plan de gestion des zones humides pour agir

La partie audoise du Madres est un véritable réservoir de zones humides, souvent considéré comme un château d’eau du fleuve Aude. En 2016, le Conservatoire des espaces naturels d’Occitanie (CEN-O) a signé une convention de partenariat de gestion avec le syndicat forestier. En 2019, ce même CEN a déposé une demande de subvention auprès de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse et du Département de l’Aude afin de réaliser un plan de gestion des zones humides de la forêt de Lapazeuil et du haut bassin de l’Aiguette. Celui-ci a été rendu en 2021, mettant en exergue la richesse naturaliste mais aussi les particularités hydrologiques.

Au cours de ce travail, une attention particulière a été portée au fonctionnement des zones humides, avec l’appui des bureaux d’études Ecometrum et Inselberg. Ils ont notamment mis en évidence une alimentation principale par les eaux de subsurface, donc soumise au régime local de précipitations. En contexte de changement climatique, ce type d’alimentation rend les zones humides encore plus sensibles et fragiles face aux diverses atteintes qui peuvent leur être portées.

Jusqu’à présent, le syndicat forestier a cherché au maximum, lors de l’exploitation des bois, à optimiser le tracé de tires de débardage pour minimiser l’impact sur les zones humides. Ces dernières sont généralement évitées malgré leur omniprésence dans la forêt. Toutefois, sortir des sapins en forêt de montagne est très compliqué. En 2022, l’analyse du CEN Occitanie et de l’expert forestier mandaté par le syndicat, Gaetan du Bus de Warnaffe, du bureau d’études Arbre et Bois Conseil, a fait ressortir deux secteurs problématiques du fait de conditions locales particulièrement complexes.

Un premier et important secteur de zones humides menacées

D'une part, la jasse de Lapazeuil est un large espace ouvert qui regroupe un complexe de plusieurs zones humides importantes vis-à-vis de leurs fonctions. De l'autre, Il s'agit d'une zone centrale pour l’exploitation sylvicole du versant. Ainsi, la jasse est traversée en son centre - là où la zone humide est la plus étroite - par plusieurs pistes de débardage importantes pour l’exploitation de plusieurs lots de bois en amont. Cela représente 750 mètres de piste en zone humide, en associant la traversée du ruisseau de Lapazeuil.

À chaque exploitation, des engins de 10 à 15 tonnes traînant des arbres de 2 à 5 tonnes peuvent traverser ces zones fragiles, ce qui menace le bon fonctionnement des zones humides :

  • par un impact direct sur le milieu tourbeux (tassement des tourbes, création d’ornières, destruction de la végétation au niveau du passage, voire la mise en suspension de sédiments lors de la traversée des ruisseaux)
  • par la création d’impacts durables du fait de la présence de ces ornières qui drainent la zone humide. A moyen terme, cela peut conduire à une modification de la végétation localement, et à un grave dérèglement du fonctionnement de la zone humide

Le réseau actuel de tires, au plus près des zones humides, a pu conduire à des difficultés de compréhension des consignes avec les débardeurs travaillant pour un client du syndicat forestier, malgré un cahier des charges précis et un suivi sur place.

Une solution technique proposée

Le travail conjoint d’Arbre et Bois Conseil, du SFDC et du CEN a permis de trouver une solution alternative permettant d’éviter tout franchissement de zones humides dans ce secteur.

Pour permettre aux débardeurs de travailler sans rencontrer de tels problèmes, le moyen le plus sûr est de proposer un trajet évitant ces zones humides, suffisamment visible, bien tracé et pratiquable, pour ne pas avoir à déplorer des dégâts sur ces milieux naturels si particuliers. Toutefois, ce tracé contournant la jasse impose un franchissement du ruisseau de Lapazeuil dans une zone sensible.

Création d'un pont-cadre pour éviter le passage des camions forestiers dans une importante prairie humide

Le nouveau franchissement du ruisseau de Lapazeuil devra donc être équipé d’un pont-cadre de 4 mètres de large et 1,5 mètre de haut.  L’aménagement a été conçu par l’expert forestier et l’entreprise de travaux mandatée pour l’occasion sur les conseils de la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) / police de l’eau et de la fédération Aude Claire (enjeu Desman), en collaboration avec la Fédération de pêche. Avec déclaration de travaux et étude d’incidence réalisée par l’animatrice Natura 2000 et le CEN-Occitanie.

Ce nouveau tracé permet aussi de réduire fortement l’usage de la route forestière pour les camions de 57 tonnes pénétrant dans la jasse pour évacuer les bois issus de 70 hectares de sapinière-hêtraie exploitable. Seule une dizaine d’hectare reste concernée, pour une coupe tous les 15 ans.

Fin juin 2023 La DDTM, via la police de l’eau, a donné son autorisation pour que ces travaux se déroulent entre le 1er septembre et le 15 octobre 2023.

D'autres secteurs de zones humides à préserver

Un second secteur problématique se situe sous le Soula de la Moulinasse, où une piste de débardage amène à une parcelle d’exploitation forestière, laquelle traverse une zone humide de fort enjeu. Une nouvelle piste menant au pont-cadre cité plus haut permettra de l’éviter. De plus, le dépôt des bois en bordure de cette zone humide importante sera évité grâce à la création d’une nouvelle place de dépôt en terrain sec, dont l’accès sera contrôlé par la pose d’une barrière.

Enfin, plusieurs zones humides sur le versant sud du bassin de l’Aiguette seront protégées grâce à la réfection d’une ancienne piste, permettant de ne plus emprunter des pistes de débardage traversant ces zones humides.

Ainsi, en accord avec toutes les parties, le CEN Occitanie a déposé une demande de subvention dans le but de réaliser ces travaux. Elle a été adressée au Département de l’Aude, dans le cadre de sa stratégie départementale pour la biodiversité, et à l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. Le coût des travaux sera ainsi financé à hauteur de 100%, pour un montant total estimé à près de 62 000€HT.

Des travaux menés dès septembre


Les travaux ont démarré le 11 septembre, avec une pêche de sauvegarde réalisée par la Fédération départementale de la pêche. L'opération s'est faite en présence également de la spécialiste desman de la Fédération Aude Claire dans le but de réduire au maximum les impacts de ces travaux sur la faune aquatique.

Tous les acteurs de cette opération se sont retrouvés le 22 septembre dernier pour constater la bonne fin de la pose du pont cadre. Le syndicat forestier de Counozouls a reçu les élus du Département, le maire, la chargée de mission N2000, la chargée de mission charte forestière, le CRPF, la DDTM, le syndicat de rivière de la haute vallée de l’Aude, la Fédération Aude Claire et l'entreprise Alary, en charge des travaux.

Une large concertation avec tous les membres

Les grands principes du chantier ont été présentés par l’expert forestier, Gaëtan Du Bus de Warnaffe, et par le botaniste du CEN Occitanie, Sylvain Nicolas. Les opérations se poursuivront dans les prochains jours avec la partie pistes et tires de débardage (voir plus bas). Les tracés ont fait l’objet d’une large concertation avec les membres du syndicat. Les plus gros arbres n’ont pas été touchés, et un enclos ancestral ayant autrefois servi pour le bétail a été préservé.

Tous ont salué le syndicat pour sa persévérance dans la gestion douce de son patrimoine forestier, et la compréhension dont il a fait preuve vis-à-vis de ses partenaires tels que naturalistes, experts forestiers, DDTM, financeurs.

L'action du syndicat forestier de Counozouls démontre que même une structure privée de gestion sylvicole peut protéger sa forêt et les richesses naturalistes qui la composent, sans arrêter pour autant son exploitation par des coupes de bois, ni mettre en péril ses finances. Il a su prendre en compte les zones humides qui assurent ici nombre de services écosystémiques.

Il sait aussi travailler avec tous les usagers de sa forêt : chasseurs, éleveurs, promeneurs … A ce titre l’ACCA de la commune de Counozouls a mené des opérations de ré ouverture de milieux sur le secteur du col de Jau, afin d’aider la sauvegarde de la perdrix grise et de toutes les espèces associées à ces milieux.

Même si le syndicat n’a jamais réalisé d’opérations de drainage ou de destruction de zones humides, celles-ci peuvent être menacées par l’envahissement de ligneux et par une exploitation forestière néfaste en cas d’absence d’alternative d’infrastructures de déplacement des engins sylvicoles. Ainsi, les travaux réalisés vont permettre de ne pas mettre en péril ces milieux naturels déjà particulièrement touchés par le changement climatique.
 

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